Archives de l’auteur : linguanostra

Début de saison..3ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

La vallée formait un cirque parfait au pied des montagnes les plus hautes du massif du Cintu. Le village était tout au bout de la route à l’ubac. En contrebas, coulait le torrent qui tressautait comme il se doit vers la mer, accompagné par la route, un peu plus haut, en corniche. A l’aller, on découvrait le paysage au dernier moment en entrant dans la vallée par le tournant de l’Inzeccha, surveillé on l’a vu par le berger, et au retour, en passant ce virage, après un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, on voyait disparaître montagnes, village et haute vallée.
Quelle que soit la raison de leur visite, les passagers des voitures se taisaient jusqu’à ce qu’ils aient franchi ce verrou. Les touristes tordaient le coup pour garder en mémoire un point de vue tout de même remarquable. Les originaires qui repartaient à la fin du congé étaient trop plongés dans de tristes pensées, l’image des vieux agitant le mouchoir sur le pont, les ultimes baisers en provision pour une année pleine sans être sûrs de se revoir. Un an sur le continent avec la crainte d’un retour anticipé pour la mort d’un proche.
Les gendarmes ne disaient rien non plus. La région était tellement resserrée, contrainte par sa géographie, qu’on avait l’impression qu’elle menait une vie propre, à l’écoute. Ombrageuse. Donc, ils se tenaient cois comme s’ils s’étaient encore trouvés dans une maison où leurs propos eussent pu être écoutés.
Tout le monde retrouvait la parole dans le défilé bordé de chênes verts qui une vingtaine de kilomètres plus bas, conduisait à l’embouchure, vers une plus importante bourgade, siège de la gendarmerie. Il fallait une quarantaine de minutes pour arriver à destination. Les jeunes faisaient mieux. Mais les gendarmes roulaient calmement en surveillant la rivière en contrebas et les collines des alentours, pour y dénicher des nudistes, infraction courante et appréciée, ou déceler un départ de feu, incident ennuyeux car papivore.
En temps ordinaire, arrivé au pont du Cioncu, Pekarski commençait à parler et à faire des commentaires rarement avisés sur la situation locale. Desagès regardait du coin de l’œil son subordonné qui n’avait pas desserré les dents, alors qu’ils avaient passé depuis un bon moment déjà, le point de départ traditionnel d’un ennuyeux discours. Un autre jour, l’adjudant se serait félicité de cette chance et aurait profité de la promenade. Mais il se sentait un peu coupable d’avoir laissé malmener un jeune collègue. Il ne regrettait pas d’avoir donné la priorité à la paix sociale. C’était la règle d’or. Mais, il comprenait que le jeune militaire attendait les clefs.
Il fallait trouver une entame neutre. Pekarski, dont c’était la deuxième affectation, avait auparavant été affecté dans la Sarthe. Bon angle d’attaque a priori. Desagès, tout en continuant à regarder la route, déclara que la situation en Corse était plus compliquée que dans le grand Ouest. Son passager ne pouvait sur ce point le contredire et après avoir marqué son accord, posa une fausse question à laquelle l’adjudant s’attendait. « …Ca fait longtemps que vous êtes ici Chef… »
Il connaissait la réponse l’animal mais ce n’était pas la durée des services qui l’intéressait mais l’opinion du gradé sur tout ce cirque. »… Ca fait deux ans que je suis dans cette région mais dix ans que je fais campagne ici. Je ne vais pas tarder à rentrer sur le continent mais vous voyez Pekarski, je vais regretter la Corse… » Le gendarme cessa de regarder son chef pour se concentrer sur la rivière qui coulait à présent dans un petit défilé… puis il reprit « …Pourquoi, il nous a fait monter alors qu’il ne veut même pas porter plainte… » Desagès bougea les épaule, un coup à droite, un coup à gauche, comme pour se décontracter. « …j’en sais rien, j’imagine qu’il voulait que ça se sache….Vous savez, cette histoire m’intrigue… parce qu’elle ne ressemble à rien. Ange-Etienne n’a aucun ennemi. Il est assez malin pour ne pas se mêler de politique et il partage ses voix aux municipales. Je ne vois qui pourrait lui en vouloir et lui non plus ne le voit pas. C’est pour ça qu’il nous appelle parce qu’il ne sait pas comment ça peut tourner et qu’il prend toutes les garanties… »
Le gendarme était rien moins que convaincu… « Le gars on lui met du plastic dans le bar et il attend de voir… on aurait pu embarquer le paquet et trouver des traces, je sais pas moi, des  indices… »
« …Si vous voulez durer ici, il va falloir que vous compreniez certains trucs. Je ne sais pas si je vais bien savoir vous expliquer. Bon. La première chose, c’est qu’un peuple qui vit dans une île, il devient comme une personne avec un caractère bien à lui. Un peuple ermite si vous voulez. Certaines idées ont pris le dessus par habitude ou par force et elles sont devenues des traits dominants. Voilà. C’est rend les choses très compliquées si on ne se rend pas compte de ça et ça les rend un peu moins difficiles si on le sait… »
« …Je vois pas… »
« …Vous sortez des fois prendre le frais vers le port, vous descendez par les petites rues en civil. Vous avez remarqué que les volets s’ouvrent à votre passage, tout doucement, juste pour que le regard passe… »
« …Ca ne me fait ni chaud, ni froid… »
« …Je le sais. Mais ce n’est pas que pour vous que les fenêtres bougent, c’est pour tout le monde. Et si pour vous, le regard des autres n’a aucune importance, parce que vous n’êtes pas d’ici, pour ceux qui restent, eh bien ce regard, il est tout. Depuis toujours, ils s’observent et se jugent. Il ne faut pas se manquer. Des individus bien sûr mais qui s’effacent devant le groupe. Ou qui veulent le dominer. Il y a plusieurs manières pour ça. A une époque, c’était la réussite sociale, la situation qui permettait de rentrer au village avec les signes extérieurs de la richesse continentale. Voiture, tournées de champagne à la fête… Plus pour montrer qu’on pouvait  que pour faire vraiment plaisir. Les choses ont évolué. Le jeu continue. Vous savez Pekarski, ce n’est ni plus ni moins qu’une société villageoise, rurale avec la violence en plus…Vous mettriez des Picards sous ce soleil, il n’y aurait pas de différence… »
« Vous connaissez bien la Corse, on dirait Chef?… »
« …J’y ai vécu mais je ne la connais pas. Il y a une fatalité qui m’échappe. Ceux qui la connaissent vraiment et qui en parlent entre eux ne diront jamais tout haut ce qu’ils pensent. En fait, l’histoire de la fausse bombe ne correspond à rien. Et c’est pour ça qu’Ange-Etienne nous a appelés. Comme un accusé de réception. Ce genre d’affaire aurait du se régler au village, on en parle aux parents, deux claques aux jeunes si c’est une mauvaise plaisanterie. Mais là c’est autre chose… »

SECB 1978

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Début de saison…2ème épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

Il n’était pas sept heures lorsque Hyacinthe aperçut le véhicule tout terrain des gendarmes qui rentrait dans la vallée. Bleu le quatre quatre. Avant c’était une 4L , source de plaisanteries inépuisables. Dans un pays amoureux des voitures sportives, voir la maréchaussée dans un équipage aussi modeste était un ravissement bruyant chez les plus irrévérencieux et discret bien que réel chez tous les autres.
Tout le monde avait pourtant explosé de rire le jour où on avait vu le pandore passager coincé dans son siège par un boite protubérante fixée devant lui, sur le tableau de bord. Pressé de question, faussement compatissantes, il avait précisé qu’il s’agissait d’un système très perfectionné de positionnement par satellite. Déjà, une telle merveille de technologie dans une 4L enchantait le public mais lorsque le gendarme sans malice, annonçât  que l’appareil ne fonctionnait pas  du fait de l’environnement montagneux, ce fut un vrai délire.
Hyacinthe avait suivi l’affaire par la faveur d’un courant d’air ascendant et ri lui aussi de bon cœur.  Il n’avait rien contre les gendarmes si ce n’est une méfiance héritée de générations de braconniers ou de réfractaires au service dans les chasseurs d’Afrique. Quand les représentants de la loi montaient lui rendre visite, ils le trouvaient rarement. Il fallait pour être honnête, qu’ils lui tombent dessus par surprise ce qui n’était rien moins qu’évident. Sans avoir rien à se reprocher, il les évitait avec soin.
Ce véhicule tout terrain, qui avait rendu un peu de prestige à la maréchaussée, remontait la vallée sans hâte. Il passait sous les châtaigniers au ralenti, disparaissait un instant puis le berger le voyait à nouveau lorsque la portion de route traversée était bordée de maquis bas.
Comme on pouvait s’y attendre, les gendarmes s’arrêtèrent près du bar.
Ange-Etienne entouré maintenant d’une dizaine de curieux, les laissa garer la voiture près de l’ancien four puis les regarda descendre. Ils étaient deux, l’adjudant et un jeune gendarme. Le premier était dans la région depuis deux années. Il n’espérait que le calme et se félicitait de n’avoir jamais vu sa brigade citée dans la presse autrement que pour un mitraillage de façade banal. Le second venait d’arriver. Le menton relevé, la démarche sportive, pénétré de son importance, il rêvait de voir son nom associé à un faits divers retentissant. Deux mois de rondes sans autre incident qu’une collision avec un renard l’avaient frustré. Il sentait que ce matin là était le sien. Respectueux de sa hiérarchie, il ne critiquait pas ouvertement son chef, mais in petto, il le jugeait pusillanime et ramolli par un trop long séjour.
Le présumé ramolli, l’adjudant Desagès salua d’un geste la petite troupe et serra la main du patron du bar, personnalité éminente du canton et cause évidente de son déplacement. Le gendarme Pekarski fit de même.
Ange-Etienne se tourna vers la porte de son bar et d’un geste les invita à entrer. Quelques marches, une terrasse avec une rampe en fer forgé et une grande salle avec le comptoir au fond. Au mur deux vieux fusils et l’affiche du parc régional, un pétrin dans un coin, le congélateur pour les glaces dans un autre et la télévision grand écran posée bien au milieu de la pièce, décodeur flambant neuf sur le dessus, télécommandes sur le coté. Les chaises toutes tournées vers l’écran montraient à l’évidence que le centre de gravité de l’établissement c’était lui désormais.
Le patron d’un geste sobre désigna un carton ouvert juste sous la télévision … »Adjudant, je l’ai vu en me levant ce matin. Il n’y était pas hier soir et ce qu’il y a dedans ne m’a pas fait rire… »
Desagès connaissait le contenu du colis puisqu’il avait été informé par téléphone mais connaissant les règles de la dramaturgie, se baissa vers le paquet, le contempla un instant sans rien dire puis invita son subordonné à regarder à son tour. « …Du plastic je dirais, avec un réveil et trois fils électriques… même pas branchés…pas de détonateur…ça n’aurait jamais sauté mais je comprends que ça vous inquiète… »
Ange-Etienne était petit,  une soixantaine râblée et aimable en règle générale. D’une vie continentale dont il ne parlait jamais, il avait ramené de quoi reprendre l’affaire de son oncle et vivre sans trop de soucis. Ce matin là, il n’était pas patient. « …Je sais bien que ça n’aurait pas sauté! Celui qui a fait ça, il n’a pas mis de détonateur. Mais, il a mis du plastic. Et s’il en a mis, c’est qu’il en a. J’aime pas l’idée qu’il lui en reste. Parce qu’autant la prochaine fois, la bombe il me la pose vraiment. C’est ça qui m’inquiète et pas cette fausse bombe… »
L’adjudant en convint c’était une espèce d’avertissement. Se tournant vers Pekarski qui faisait l’épagneul en reniflant partout, il lui demanda de prendre des notes. « …Vous n’avez rien entendu?… » Il n’avait rien entendu et le chien non plus, il n’avait pas bronché. « …Ah vous avez un chien?… »
Pekarski par cette question se positionnait dans le débat. Il la trouvait habile. Un fait, pas contestable et pas polémique. Ange-Etienne se fit méprisant en lui désignant du menton une masse de poils agitée par des rêves qui poursuivait sa nuit vautrée dans un coin de la salle. « …Et ça c’est quoi, un âne?… »
Desagès  lança un regard plein de compassion au gendarme bafoué et entreprit de glisser sur l’incident. « …C’est sûr que si l’individu est rentré sans que le chien ne bronche, ça signifie que ce pourrait être un habitué… ». La conclusion s’imposait.
Le murmure désapprobateur de l’assistance qui avait crû entre-temps montra que l’hypothèse était perçue comme insultante pour la communauté villageoise. Vous n’avez trouvé que ça. Quelqu’un d’ici mettre une bombe chez Ange-Etienne. Il ne cherche personne et chez nous personne ne ferait un coup pareil. Les gendarmes sont forts pour mettre u tazzu.
La victime de l’attentat putatif vint pour la première fois de sa vie sans doute au secours de l’autorité. Il a raison l’adjudant! D’abord, il faut savoir où je cache la clé. Après, il faut connaître le chien parce que même s’il ne mord pas, il aboie et ça m’aurait réveillé. Et puis, ils ont même pas allumé sinon je l’aurais vu que ma chambre elle est au-dessus.
Le silence était revenu. Cette intervention pacificatrice aurait pu apaiser les esprits définitivement si Pekarski, remâchant l’affront qui lui avait été fait bien sûr mais aussi soucieux de montrer ses qualités d’enquêteur n’avait fait entendre sa voix. Il doit y avoir un mobile. Il y a toujours un mobile. Dites moi, Monsieur Ange-Etienne, il n’y y aurait pas une rivalité commerciale là-dessous? Il aurait tout aussi bien pu évoquer une affaire de femme mais dans son subconscient, il devait y avoir un dispositif d’alerte qui lui avait enjoint de ne pas aborder, ici et maintenant, cette piste là.
Ange-Etienne pour la première fois, se tourna vers lui mais son discours s’adressait à l’adjudant, seul interlocuteur digne d’intérêt. « …Dites adjudant, il les choisissent pour les envoyer en Corse? Les plus malins sur le continent et les zucche ici! Le carabinier qui vous accompagne, il a pas remarqué que c’est le seul bar de la région ici? Celui qui me fait sauter, après c’est quarante kilomètres qu’il se fait pour boire un pastis. Et les Marlboro, il ira les chercher à Calvi; Rivalité commerciale, il se croit où le détective, sur la Côte d’Azur?… »
D’un geste ferme, le gendarme une nouvelle fois humilié, se vit intimer  le silence par le sourcil froncé de son chef qui connaissait son public depuis assez longtemps pour savoir que dans de pareilles circonstances, on avait un besoin évident d’un coupable de substitution. L’arrivée de la camionnette du boulanger et l’invariable triple coup de klaxon, lui facilitât la tâche. Les rares femmes présentes dans l’assemblée entamèrent un mouvement de retrait. Desagès attendit la fin du mouvement migratoire.
Puis se tournant vers le débitant de boissons, il l’informa que la gendarmerie se retirait également. Vous voulez signer une plainte. Non, pas la peine. Bon, alors nous rentrons à la brigade. Mais, on va quand même surveiller ça. Oui, surveillez. Café? Non, merci, c’est gentil, on a pas le temps. La saison a commencé? Doucement. Le gros des touristes est pas arrivé. Oui. Au revoir. L’adjudant et son collègue, poignée de main pour l’un, hochement réglementaire pour l’autre, repartirent vers leur voiture.

SECB 1978

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Début de saison…1er épisode

Le Filosorma m’a inspiré une (longue) nouvelle policière que j’ai écrite pour rendre service à un copain dont le site sur le SCB périclitait. Je vais la faire paraître ici en quelques épisodes et nous verrons si vous trouvez le coupable avant la fin.. Je précise que pour l’essentiel, toute ressemblance avec des personnes ou des lieux réels est fortuite!!

De sa bergerie, Hyacinthe voyait toute la vallée. Du grand virage de l’inzeccha jusqu’au bourg, il pouvait tout surveiller. Le torrent en contrebas, presque trois kilomètres de route, l’entrée du village jusqu’au cimetière et bien entendu la place et le bar d’Ange-Etienne.
 Pour peu que le vent souffle dans la bonne direction, il entendait  même les conversations. Il fallait simplement que les habitués du bistrot, les joueurs de pétanque ou les femmes attendant le camion du boulanger parlassent fort. Mais ce n’était pas rare. Aussi, lui qui descendait assez peu du petit plateau où il tenait ses bêtes, était-il souvent averti de choses qu’il n’aurait pas du normalement connaître du fait de son éloignement. Mais cette science n’étonnait personne. Les habitants d’en bas connaissaient l’effet du vent. Et puis, s’il avait entendu quelque chose, c’était parce que quelqu’un s’était exprimé en public et de manière suffisamment claire pour qu’il ne s’agisse pas ou plus d’un secret.
A vrai dire, Hyacinthe ne montrait en règle générale que peu d’intérêt pour les affaires de ses concitoyens. Querelles de voisinage ou politiques, cancans et rumeurs le laissaient de marbre. Sans être misanthrope, il préférait rester chez lui près du troupeau. A ceux qui le taquinaient à ce propos, il faisait remarquer avec logique, qu’il ne voyait pas l’intérêt de marcher une demi-heure pour descendre et autant pour remonter alors qu’il voyait et savait tout, sur des sujets qui de toute manière lui étaient toujours indifférents.
Il réservait le meilleur accueil à ceux qui venaient le voir. Les paesani avaient droit à un salut enjoué et une conversation qu’on aurait pu qualifier d’urbaine, n’eut été le caractère très campagnard du lieu.
 Les rares touristes bénéficiaient d’un salut poli  et de réponses précises leur permettant de trouver le chemin  qui menait au col , but de leurs invariables promenades. Il s’était même accommodé des questions sur ses chèvres, son fromage et sa vie d’ermite. Il supportait avec une inaltérable patience, la conclusion classique de ces échanges culturels. Vous en avez de la chance d’être près de la nature et dans un si beau coin. Il en avait de la chance. Il était surtout habitué à sa vie et était devenu sage par obligation. Certain de ne pouvoir changer son sort, il le trouvait supportable.
On ne lui connaissait qu’une passion. Sans qu’on sache trop où et comment, il en était venu à adorer le football  ou pour être plus précis, le Sporting Club de Bastia. Hyacinthe n’était pas un connaisseur, un puriste, faisant et refaisant les équipes, commentant les stratégies. Non, ce qu’il aimait c’était deux fois par mois, lorsque le club jouait à domicile, descendre au village après avoir passé un jean et une chemise à carreaux, et aller à Furiani en voiture. Quatre-vingt kilomètres, deux heures aller, deux heures retour par des routes à surprises, pleines en saison d’estivants déportés sur la gauche et toute l’année de bovins irresponsables.
 Il ne conduisait pas. Aussi, il se faisait transporter par ceux qui, comme lui, n’auraient manqué un match sous aucun prétexte. L’été, il y avait toujours quatre ou cinq voitures avec les juilletistes et aoutiens de retour. L’hiver, au moins deux pour peu que le SCB joue les premiers rôles. Une seule si le ballon avait roulé dans le sens contraire. Lorsque les résultats étaient mauvais, personne ne serait descendu au stade, s’il n’avait pas été là. Mais, bon an mal an, Hyacinthe n’avait jamais raté un rendez-vous.
C’était la veille du début du championnat. Ce matin là, très tôt, après avoir sorti le troupeau, le berger s’était fait réchauffer du café dans un bol blanc à col rouge et surveillait la route.
Une animation inhabituelle avait régné au village dès l’aube. Il avait vu Ange-Etienne sortir de son bar, très en colère. Il n’y y avait personne à prendre à témoin. Aussi, il était rentré dans son établissement très vite, puis ressorti à de multiples reprises. Les villageois les plus matinaux avaient fait un détour vers le bistrot avant d’aller au jardin. Ce n’était pas dans leurs habitudes. Il y avait donc quelque chose à voir.

Merry Krimau SECB 1978

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Un auguriu per u 2014…Un vœu pour 2014…

Una bella stonda ch’un n’aghju scrittu in lingua corsa. Cume so lettu da ghjente ch’un ammaestranu micca sta lingua, aghju da mette a traduzzione di st’articulettu in francese. E per l’annu chi cumincia, vuleria sprimà un auguriu chi m’è caru.
St’auguriu e di vede, tantu e tantu ghjente amparà u corsu o trovene torna u gustu.
Ci è a pocu pressu 6000 lingue per stu vastu mondu .
L’UNESCO cunsidereghja chi a midità di queste periculeghjenu, chi una lingua smarisce a pocu pressu tutte e duie settimane e chi, si omu face nulla, 90 per centu anu da esse squassate mentre u seculu chi vene.
Perse per sempre, incu i so tesori linguistichi, legende, miti, puesie e a memoria di i populi.
A lingua corse figura in questa lista.
Vi possu dispiace, ma un mi pare micca chi u prublemu sia u francese. St’idioma dino screce. U problemu, quant’a mè, è chi campemu in un mondu chi cerca sempre u prufittu e chi disprezza cio chi un li ghjove micca subitu. A lingua di l’affari è l’inglese e solu contanu l’affari.
So natu in cuntinente e ci so sempre statu. Eppuru parlu e scrivu u corsu. A raggio è simplice. I mo parenti u parlavanu, di una manera naturale e aghju amparatu senza pinsacci.
E in casa chi si po vince stu scumbattimmentu linguisticu. Cio chi aghju vistu di piu pertinente, è un vechju affissu induve si vedia un zitellu chi dumandava a a so mamma « Ô Ma, parlami corsu ! »
Ogni volta chi mi ne rientru in Corsica, m’avvedu chi a lingua si ne more. Possu ragiunà incu i vechji, i parenti ma scarsi so i ghjovani chi s’interesanu. Pinsaranu anch’elli ch’un li ghjove subitu. E cusi chi a pinsata unica supraneghja pianu pianu, puntata da e so prossime vittime.
Si vo capite u corsu, u pudete parlà ! Un n’appiate ne vergogna ne paura.
Si u vulete amparà, lampatevi !

Il y a un bon moment que je n’ai pas écrit en langue corse. Comme je suis lu par des gens qui ne maîtrisent pas cette langue, je vais mettre la traduction de ce billet en français. En ce début d’année, je voudrais exprimer un vœu qui m’est cher.
Ce vœu d’est de voir de plus en plus de gens apprendre le corse ou en retrouver le goût.
Il y a à peu près 6000 langues dans ce vaste monde.
L’Unesco  considère que la moitié de ces langues sont en danger de disparition, qu’une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines et que si rien n’est fait, 90% vont être effacées au cours du siècle.
Perdues à jamais avec leurs trésors linguistiques, légendes, mythes, poésies et la mémoire des peuples.
La langue corse figure dans cette liste.
Au risque de déplaire, je ne crois pas que le problème soit le français. Cette langue perd également du terrain. Le problème, selon moi, c’est que nous vivons dans un monde en recherche perpétuelle de profit et qui méprise ce qui ne lui est pas immédiatement utile. La langue des affaires, c’est l’anglais et seules les affaires comptent.
Je suis né sur le continent et j’y ai toujours vécu. Pourtant, je parle et écris le corse. La raison est simple. Mes parents le parlaient de façon naturelle et je l’ai appris sans m’en rendre compte.
C’est à la maison que le combat linguistique se gagne. Ce que j’ai vu de plus juste à ce propos, c’est une vieille affiche ou un gamin dit à sa mère « Maman, parle moi corse ! ».
A chacun de mes voyages en Corse, je m’aperçois que la langue perd du terrain. Je discute avec les grands-parents ou les parents mais rares sont les jeunes qui s’intéressent. Ils pensent eux aussi que ce n’est pas immédiatement utile. C’est comme ça que la pensée unique avance poussée par ses prochaines victimes.
Si vous comprenez le corse, vous pouvez le parler. N’ayez ni honte, ni peur.
Si vous voulez l’apprendre, allez-y.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Cose si dice ? Qu’est ce qu’on dit ?

tafunatu

Quelques jours de vacances bien méritées et du coup l’envie de rédiger un billet de blog avec un petit espoir. L’espoir de le voir lu par ceux qui tout au long de l’année, m’assènent avec d’excellentes raisons au premier rang desquelles, l’envie de me faire plaisir, un sonore et empathique « Pace e salute ! ». Ah, l’enfer est pavé de bonnes intentions comme je m’en vais essayer de vous le montrer. Et comme nous sommes le 26 décembre, il n’est pas trop tard.

Nous allons donc consacrer quelques lignes à ces fameux souhaits de fin d’année. Noël ne pose pas de difficultés. En plus, il est derrière nous mais ça peut servir pour le prochain. « ..Bon Natale » ira très bien ! A prononcer « Bon Nadalé » puisque entre deux voyelles, le « t » devient une consonne mutante mais pour que ceux que ça intéresse, j’ai dû écrire un truc à ce propos dans le site d’apprentissage auquel ce blog est adossé. Vous pouvez aussi rajouter « Bone feste » ce qui ne mange pas de pain puisque ça signifie, comme en français, « bonnes fêtes ».

Les choses se compliquent un peu avec la fin de l’année et la nouvelle.

Si vous voulez être dans l’orthodoxie, il convient de bien respecter la chronologie car, en fonction du moment, les vœux changent … Jusqu’au 31 décembre, faîtes claquer un « bon capu d’annu » qu’on devrait traduire par « bonne tête d’an » mais vous l’aurez compris, cette expression signifie tout bonnement « bonne fin d’année ». Prononciation pas évidente « bon caboulanou » avec ces consonnes mutantes mais vous pouvez essayer avec l’heureuse perspective de jouir des regards admiratifs de vos hôtes ou invités…Des versions plus élaborées, existent. J’en mets une à votre disposition ci-dessous. Que ne ferais-je pas pour mon fidèle lectorat !

« Bon di,

Bon annu,

Bon capu d’annu,

Bonu quist’annu,

Megliu un altr’annu »

« Bon jour ,

bonne année,

bonne fin d’année,

cette année a été bonne,

que celle qui vient soit meilleure »

Dès minuit, c’est le bien connu (trop sans doute mais nous y reviendrons ) « Pace e salute » qui s’impose. Paix et santé, ce qui soit dit en passant est ce qu’on peut souhaiter de mieux à ses proches et à la terre entière. C’est ce que les enfant s’empressaient de dire à leurs parents en ce premier jour de l’année.

« Pace e salute ! Pace e salute ! » et les parents répondaient «  E ch’è vo siate sempre bravi zitelli » « Et que vous soyez toujours de bons enfants ! » La perspective d’étrennes (ah le souvenir des pièces de 5 francs en argent) me motivait pour n’oublier personne.

Un clin d’oeil à un ami de Nuceta qui me rapportait la réponse pleine d’ironie moqueuse d’un vieux de son village lorsqu’on lui disait « Pace e salute ». Il rétorquait, non sans une certaine logique. «  Si un n’aghju a salute, a pace un l’averete mancu voi ! » Si je n’ai pas la santé, la paix même pas vous ne l’aurez !.

Bref….tout ça pour dire que le « pace e salute » est connu de beaucoup de monde. Ce qui vaut à tout moment de l’année, de l’entendre de la part de gens bien intentionnés qui pensent me faire plaisir. J’ai pris pour parti de leur répondre « Joyeuses Pâques » et devant leurs mines interloquées, je leur explique qu’ils viennent en mars, juillet ou août, de me souhaiter ni plus ni moins qu’une bonne année.

Sur ce, vi basgiu et vi dicu « Bon capud’annu a tutti »

 

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Ricordu di Natale..

Mes Noëls d’enfant n’étaient pas villageois. Ils se passaient à Toulon. Pour autant, Bardiana était toujours présent dans nos conversations. Ma mère et ma tante nous racontaient les veillées d’antan et leur talent était tel que nous imaginions sans peine les gens, les lieux et l’ambiance qui devait régner autour du fucone, le foyer. Bon, un réveillon autour du radiateur n’a pas la même aura mais l’essentiel y était. La famille, l’affection et les récits.

En prenant un peu d’âge, n’exagérons rien…je veux dire par là que j’étais adolescent, mon attention a été attirée par la transmission des prières liées à l’ochju, l’œil. J’ai déjà écrit à ce sujet mais, en retrouvant une vidéo de l’INA dont j’insère un extrait à la toute fin de ce billet de blog, les souvenirs ont afflué, l’émotion aussi et j’ai eu envie d’en parler de nouveau. Lisez moi et prenez le temps ensuite de regarder ce film d’une trentaine de minutes accessible en son entier sur le site de L’INA. Vous comprendrez pourquoi en 1978, à sa première vision, j’ai compris qu’il fallait se méfier des caméras ! !

L’ochju, donc. Le mauvais œil en français. Personne ne sait vraiment ce qu’est cette affection mais tout un chacun en connaît les symptômes. Migraine, nausées, lassitude extrême sans qu’une quelconque pathologie puisse expliquer le mal. Tout le monde sait aussi d’où il vient. C’est le résultat d’une influence mauvaise portée par l’œil d’une personne qui vous regarde et pense à vous avec malveillance. Une admiration trop forte ou l’envie que vous suscitez peut avoir des effets identiques.

Il existe divers remèdes pour se débarrasser de ce mal. Plus ou moins élaborés et le plus souvent à base de sel et d’huile. Mais, et c’était le cas pour ma Maman, il est aussi possible d’ôter l’œil par des incantations, des prières en fait, murmurées pendant qu’on trace des signes de croix sur le visage. Une prière bien dite, c’est essentiel, soulage de façon immédiate et celui qui l’a prononcée, prend le mal sur lui. Ce transfert se matérialise par des séries de bâillements plus ou moins longues en fonction de la gravité du sort.

Bien entendu, j’ai souhaité étudier ces prières. Ma mère a accepté volontiers de me les transmettre mais elle m’a précisé que je ne pourrai les apprendre à personne. Seules les femmes peuvent pratiquer et instruire. Les hommes disent  les prières mais ils ne les enseignent pas. Nous en revenons ici à la nuit de Noël. L’apprentissage se fait une fois par an et au cours de cette nuit-là. Il est évident que nous nous trouvons ici, et c’est fascinant, au carrefour des mythes que la religion chrétienne a intégrés dans une approche syncrétique (culte de Mithra et cérémonies du solstice d’hiver par exemple). Trop long à développer et ce n’est pas l’ambition de ce blog. Dernière chose que j’ai apprise au cours de ces Noëls là, les prières sont sacrées. Elles sont murmurées et elles n’ont pas à être connues de tous. Ca ne porte pas bonheur à celui qui les galvaude.

Voilà pourquoi, j’ai eu de la peine pour ces deux vieilles dames que j’ai vues en 1978 (je m’en souviens parfaitement !) prononcer ces prières sans mesurer le pouvoir de la camera. Sinon, à la grande surprise de mes relations qui me savent athée, je pratique encore et ça marche !
(NDLR: pour en savoir plus sur l’ochju, cet article bien documenté en cliquant ici.
Natale…pensaraghju a quelli ch’un so piu. E per elli, l’antica preghera « ..Eiu vi pregu animi santi, eiu vi pregu a tutti quanti, site stati cume noi, si venera cume voi altri, chi Diu vi dia pace e riposu, in u santu Paradisu..E cusi sia…

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

La fin du Balkan

 

Le 15 août 1918, le Balkan quittait Marseille à destination de Calvi. C’était un vapeur appartenant à la Compagnie Fraissinet. Plutôt vieux, pas bien grand, 80 mètres environ et lent. Les navires plus récents de cette compagnie qui assurait en temps normal la desserte de la Corse avaient été réquisitionnés. Le Balkan, comptait 519 passagers à son bord dont 300 soldats permissionnaires.

Une nuit d’août qui devait être belle. A huit miles à peine de Calvi, il est facile d’imaginer les gens accoudés au bastingage en train de sentir, au sens propre, l’île tout proche. Le bout rouge des mégots, les rires peut être, l’impatience d’arriver enfin. Sans doute regroupés par village ou canton, en discutant du chemin qu’il faudrait faire pour rejoindre les siens. A pied pour la plupart et sur de longs kilomètres. A 1 heure 35, un sous-marin allemand est aperçu par tribord. Une torpille, une seule, frappe le navire par le travers. Elle explose et en moins d’une minute, l’avant du bateau se dresse et il s’enfonce par l’arrière. Sept radeaux seulement peuvent être mis à l’eau. Ce n’est qu’à 10 heures du matin, que deux hydravions aperçoivent les signaux de détresse et que des secours ramènent les 102 survivants à Calvi. 417 passagers sont morts.

balkan

Nous l’appelions Ziu Sampieru.. l’oncle Sampiero. Il me semblait du haut de ma dizaine d’années qu’il avait atteint un âge canonique. En fait, il devait avoir tout au plus soixante dix ans. C’était un rescapé du Balkan. Il en parlait peu. Une chose m’a marqué. L’histoire d’une femme qui ne sachant pas nager, avait essayé de s’agripper à un madrier qui flottait. Il me semble que Sampieru pensait qu’elle avait été repoussée. Toujours est-il qu’elle a fini par se laisser aller et il disait que sa robe, pendant qu’elle coulait faisait comme une corolle. Ma mère trouvait que le destin était étrange car ceux qui avaient survécu ne savaient pas nager. Le seul de la vallée qui était mort cette nuit là, savait. Ma tante racontait aussi qu’un pêcheur de Girolata avait vu le sous-marin dans la baie, plusieurs nuits de suite. Aghju vistu u cudogliu!! J’ai vu le cachalot. Aux yeux d’un berger, le dos noir d’un sous-marin aux aguets ne peut rien évoquer d’autre qu’un mammifère marin.

Quatre cents morts et deux ou trois anecdotes. Et c’est tout. Une stèle sur la route de Calvi. Pas grand chose dans les livres d’histoire pour ne pas dire rien. Il aurait fallu un autre Daudet pour raconter ce que fut ce naufrage. Et encore. Il y a tellement eu de morts que ceux là n’ont pas compté bien lourd. Des femmes, des gosses, des permissionnaires blessés ou non. Des petites vies qui s’arrêtent.

J’aimais bien parler avec les vieux. Une chance d’avoir appris la langue corse sans m’en rendre compte en l’écoutant à la maison. Pour être tout à fait honnête, je ne crois pas que j’étais conscient à l’époque d’être un petit passeur de mémoire. Mais tout de même, je pressentais qu’il était important de se souvenir des gens et de ce qu’avait été leur vie.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

L’art de la macagna

Un peu gêné aux entournures pour parler du bar du village. Jérôme Ferrari l’a fait dans « Le sermon sur la chute de Rome ». Et son écriture est d’un tel niveau qu’elle inhibe. Mais comment parler de la macagna sans parler du bistrot. Et puis, le Goncourt n’est pas ici un objectif. Alors, on y va.
Le bar du village est un lieu essentiel. Le village est un système planétaire où dans chaque maison vivent des gens avec leurs histoires closes. Pourtant tout se sait. C’est heureux. Il n’est pas possible d’imaginer que les familles existent avec leurs joies et leurs peines sans que jamais l’extérieur n’en sache rien. Elles imploseraient. Le bar, est donc l’endroit où on s’expose. S’y raconte ce qui doit être su et s’y susurrent les informations qui ont vocation à circuler. Chacun apporte un peu et repart avec ce que les autres ont bien voulu apporter. C’est un univers d’hommes. Un univers très identitaire aussi. Il y a quelques tables peuplées de touristes mais elles sont exilées à la périphérie de la terrasse. Au centre, on trouve les habitués, rois de la macagna, ceux dont les plaisanteries les meilleures passent l’hiver et rentrent dans la mémoire collective.
La macagna, c’est difficile à expliquer. Un art. Celui qui consiste à rebondir sur une phrase, un défaut, une particularité de son interlocuteur pour avec un grand sérieux bâtir une histoire qui fera rire aux dépends de la victime mais sans méchanceté. Il ne doit pas y avoir offense. Chacun joue sa partition, le macagneur comme le macagné. Pour ce dernier, c’est un peu involontaire mais il y trouve son compte.
Au travers de quelques exemples, je m’en vais essayer de vous faire saisir l’esprit subtil de la macagna.
Un mien cousin, qui se reconnaîtra, n’est pas dépourvu d’un certain talent dans ce domaine. Il y a quelques été de cela, il avait entrepris une équipe de touristes sur Napoléon. Ils avaient été très vite impressionnés par sa science, réelle au demeurant, du sujet. Mais sa cible était ailleurs comme on va le voir. Tout à trac, il avait annoncé que si l’Empereur était inhumé aux Invalides, le crâne de Napoléon enfant était enterré ici même à Bardiana. Les touristes n’étaient pas crédules au point de gober une histoire pareille. Mais sur la terrasse, brûlant de participer à la conversation, il s’était trouvé quelqu’un (il y a en toujours un dans la bande) qui perdant son peu de sens critique, avait rebondi sur l’affaire. Il avait clamé haut et fort son incompréhension et vivement critiqué le maire. Sa marotte ! Comment un tel atout touristique pouvait-il rester ignorer ? Il fallait communiquer sur ce point et valoriser une pareille trouvaille. Une longue diatribe écoutée bouche bée par les témoins étrangers et avec une envie de rire contenue à grand-peine par les locaux. Tous les ingrédients de la macagna réussie sont dans cette anecdote, parfaitement authentique. Un inventeur malicieux, un public et une victime à laquelle il suffit de servir un thème auquel elle tient suffisamment pour qu’elle parle sans réfléchir. Deux ou pastis ne nuisent pas à l’affaire pour être tout à fait honnête.
J’ai participé à une conversation, il y a très longtemps, où j’ai vu ma Mère lancer une macagna d’anthologie aux dépends du mari continental d’une de nos cousines, homme dont je peux vous assurer qu’il est loin d’être un benêt. Mais voilà. Il est attaché aux choses matérielles et pointait sans méchanceté, la pauvreté de nos villages. Ma maman qui le connaissait un peu, lui a dit qu’en effet notre situation avait été précaire. A tel point que dans les années 30, personne ne pouvait acheter l’once d’or que les commerçants de Calenzana venaient proposer pour cinq francs. Etrange à dire mais il a gobé cette histoire. Toute la soirée, il a posé des questions ne parvenant pas à comprendre que nous n’ayons pas pu trouvé cinq francs pour acheter de l’or. Je crains que comme nous n’avons rien dit à l’époque, il y croit encore.
J’aurais pu vous parler du piano de Candela ou de la truite à clochette. Mais je vais en rester là. Une dernière petite chose tout de même en forme de regret conclusif. Il y a des saisons que je n’ai entendu une macagna digne de ce nom. Un peu plus de méchanceté envieuse et un peu moins de malice amicale. Ceci explique sans doute cela.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

L’Argentella…

Les puristes me feront sans doute remarquer que L’Argentella dont je vais vous causer aujourd’hui, n’est plus tout à fait le Filosorma. Certes. Mais, outre le fait qu’il n’est pas interdit de sortir un peu, cette étape sur la route côtière fait partie de mon parcours filosormincu d’une part et a une histoire qui mérite vraiment d’être contée d’autre part.

Mon parcours donc. Au sens strict ! A l’époque où rejoindre Bardiana relevait de l’épopée, train plus bateau sur deux jours, nous finissions notre périple par la poste qui reliait Calvi au village via Galeria. Et la poste s’arrêtait partout, bocca bassa, bocca seddia.. L’Argentella avec ses ruines était tout à fait intrigantes pour le gamin que j’étais puisqu’il m’avait été expliqué que c’était une ancienne mine d’argent. Il aura fallu attendre les dernières vacances de la Toussaint pour que je m’y promène, que je me documente davantage et que vous dise tout ce que je sais désormais sur le lieu avec à l’appui les traditionnelles photos de la Belette Agile. Où l’on verra in fine, que cet endroit a bien failli entrer dans l’Histoire en passant par une porte bien peu sympathique.

Une mine donc. Et ce depuis le 16ème siècle. Le plan Terrier, rédigé à la fin du 18e siècle, fait mention plus tard d’une mine d’argent ouverte par les génois. De quoi attirer les convoitises. A partir de 1847, les mairies de Calenzana et de Moncale accordent les premiers permis de recherche. Mais l’exploitation prendra vraiment son essor dans la seconde partie du 19e siècle. Une est établie en 1856 au nom de la compagnie Moullet puis à un dénommé Collas qui édifie un barrage, construit un port et des bâtiments dont une partie est toujours bien visible. Les rendements ne sont pas suffisants et la mine est rachetée en 1886 par des investisseurs anglais qui fondent l’Argentella Mining Limited. Plus de deux cents personnes travaillent et vivent sur le site avant que l’exploitation soit de nouveau abandonnée vers 1888. Elle reprendra par intermittence avec différents concessionnaires jusqu’en 1930 où tout s’arrêtera de façon définitive.

argentella5 argentella4 argentella3argentella2

Un barrage, des pylônes de téléphérique, de nombreux puits d’extraction, des bâtiments administratifs mais aussi des logements pour le personnel jusque très haut dans la colline, attestent de l’importance des travaux. Une bonne partie de ces installations est visible de la route et il suffit de grimper sur quelques centaines de mètres pour trouver la retenue d’eau. Les plus courageux grimperont jusqu’à la mine dont ont aperçoit l’entrée et les déblais au pied du sommet de l’Argentella.

argentella1

Cette partie de l’histoire méritait déjà un petit billet de blog mais la suite est encore plus croquignolette.

En 1960, le gouvernement de Michel Debré envisageât d’implanter sur ce site une base d’expérimentations nucléaires, site qui selon les experts de l’époque, se prêtait parfaitement à ce type d’essais. On retrouve aisément sur le web, les déclarations de Pierre Guillaumat, ministre délégué à l’énergie atomique, sur le thème d’absence d’effet sur l’environnement et la population. De façon assez étrange, ladite population s ‘est méfiée un tantinet et a fait connaître son opposition avec une certaine vivacité. Grève, rassemblements divers et élus allant jusqu’à conseiller au grand Charles de faire péter sa bombinette à Colombey les deux Eglises puisque ça ne présentait aucun risque. Bref, le 14 juin 1960, projet abandonné et direction Mururoa pour la suite qu’on sait.

Je ne crois pas vous avoir menti (c’eut été une première !) en vous disant que l’Argentella méritait un billet. La prochaine fois que vous emprunterez la route de la côte, en voyant la baie de Crovani et Ferraghjola, je gage que vous regarderez les ruines d’un autre œil avec une pensée pour la folie des hommes.

crovani

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…

Funghi!!

Il me semble avoir déjà écrit ici même, tout le bien que je pensais de l’automne. De façon générale. Aujourd’hui, j’aimerais entrer davantage dans le détail du plaisir que procure une virée villageoise en ce début de novembre.

C’est tout d’abord la traversée. Le bateau est le même qu’en été mais plus fantomatique. Moins de monde et plus de brume en longeant le cap au petit matin. Avec de la chance, nous en avons eu cette année, il fait un grand soleil sur Bardiana et toutes les activités sont possibles à une ou deux réserves près. Fraîcheur de l’eau…et journées bien raccourcies. Et oui, c’est ce qui arrive quand un village est construit à l’umbria..l’ubac.

Odeurs, lumière douce, arbouses et champignons. Même les vaches ont l’air serein.

2

1

10

C’est de ça dont il s’agit avec un clin d’oeil à Maria Anghjula et Stevanu fin connaisseurs de funghi avec qui nous arpentons le maquis et les vieux jardins pour essayer, parfois nous y arrivons, d’agrémenter l’ordinaire.

Merci une fois de plus à la Belette Agile qui a fait un safari photo qui me sert de support. Et comme il s’agit aussi et surtout de langue corse, nous allons en profiter pour réviser les noms de nos trouvailles.

Le Filosorma étant une région de chênes, de châtaigniers et de pins, il y a une variété tout à fait intéressante de taxons étant observé que par l’effet de la malice de la nature, la proportion des mauvais excède de beaucoup celle des bons.Tiens, commençons le périple par une amanite tue-mouches aussi belle que toxique. Elle était nichée près du fleuve quelque part près de la Furnace. Pas de nom corse pour celle-ci.

3

4

ni pour celle là dont on pourrait retenir le nom latin « pantherina ».Par contre, la coulemelle, c’est a cappisgiula. Elle aussi comme les deux autres traînait du coté de Candela. Observez que je vous donne les lieux où vous pourrez trouver les mauvais champignons. Vous souffrirez que je garde secrets ceux où abondent les girolles.

7

Tiens une lingua..la fistuline hépatique qui si mes souvenirs sont bons, a donné un joli liant à la sauce. Et a coté, des vesses, a vescia en langue corse qui ne présente, quant à elle, aucun intérêt culinaire.

65

Et puis, dans des endroits que vous n’avez pas besoin de connaître.. on rencontre ce genre d’oeuf..u buletru ou encore u cuccu. L’amanite des Césars, l’oronge. Coupée en tranches, crue et servi en salade avec de fines tranches de joue grillées et des amandes. Gratuite la recette..

9

En définitive, j’imagine qu’une question vous taraude. Les girolles, les lactaires délicieux qui font l’intérêt de la recherche, est ce que nous en avons trouvé? La réponse est sur la table et dans la poële.

811

Voila. Un bon mètre carré voire plus de belli sturzi, de sanguins et au milieu des cèpes.

Jaloux? J’en suis ravi. C’était le but.

PS.. le blog que vous parcourez, fait partie d’un site dédié à l’apprentissage de la langue corse. Si vous voulez le découvrir, cliquez sur l’image ci-dessous…