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Fà mottu..ou bonjour..à vous de voir

Il y a bien longtemps, j’ai été le stagiaire  très intéressé d’une formation dédié à la gestion du conflit en particulier et à la communication en général. Le conférencier avait alors insisté sur l’importance du premier contact et sur le « bonjour » qui, assorti d’un large sourire, était la garantie d’un échange harmonieux au moins au début. Ce même conférencier fut quelque peu surpris lorsque j’entrepris de lui expliquer que par chez moi, on se passait fort bien de ce « bonjour » dont il était l’ardent prosélyte

.bardiana

Mettons tout de suite les choses au point. Si vous dites « bonghjornu » ou encore « salute » en entrant dans le bistrot du village, vous n’aurez commis aucune faute de goût et à tout prendre, c’est bien mieux que de ne rien dire du tout et passer pour un mufle. « Bonghjornu » correspond bien au salut du matin et n’est en rien hérétique. « Salute » me dérange davantage car ce mot signifie santé.. Si vous tenez à saluer la confrérie, utilisez la prononciation adéquate  à savoir «  salutu ». On ne vous voudra pas de toutes façons. Une fois de plus, c’est mieux que rien.

Non, ce dont je veux vous entretenir aujourd’hui, c’est de la manière « nustrale » (de par chez nous, si vous préférez) de saluer un voisin, un villageois ou un parfait inconnu avec qui on veut se montrer courtois.  Ci vole da fà mottu.. il faut faire un signe. Mottu, que voilà un mot intéressant. Il est tout plein de sens. L’excellent site ADECEC les livre tous.. « .. salut, salutation; mot, bon mot, façons, manières, mamours; signe, mouvement.. ». Fà mottu, c’est faire un signe qui est un témoignage de civilité à l’endroit d’une personne qu’il convient de saluer.

Un signe ! Et pas une parole. En pratique, ça donne quoi ? Vous croisez de bon matin, un quelconque voisin qui s’en rentre du jardin. Un petit signe de la tête accompagné d’un « euh » sonore et accentué. Il vous répond de la même manière par un autre « euh » voire un « eh » modulé. Et chacun poursuit sa route en ayant témoigné, confer ci-dessus, d’une courtoisie exquise. Avete fattu mottu e a rispostu.. vous avez fait un signe et il y a été répondu.

La politesse a été de mise dans cet échange ce qui est l’essentiel mais cela va encore plus loin. Car ledit échange bref mais courtois laisse en définitive, toute latitude d’engager la conversation à celui à qui le « euh » est adressé. Et oui..Vous dites « euh » au voisin.. il répond « eh » et il poursuit sa route. Parfait, un salut mutuel et comme il n’avait ni le temps, ni l’envie de discourir, il s’en est allé. Maintenant, imaginons que votre interlocuteur ait un peu de temps devant lui. Vous lui dites « euh », il vous répond « eh » mais il rajoute un petit quelque chose du style « cumu va ? » (comment ça va ?) ou «  a chi simu ? » (qu’est ce qu’on devient » ou un peu ce qu’il veut. Et là, on discute. Pratique non ? Et plutôt respectueux.

C’est pour ça, que  dans nos villages où il peut y avoir de temps à autres (si peu…si peu…) quelques fâcheries, bouderies et autres chicanes, vous n’entendrez pas quelqu’un se plaindre de la grossièreté d’un tiers en disant «  un m’a mancu dettu bonghjornu » (il ne m’a même pas dit bonjour ) mais plutôt « un m’a mancu fattu mottu » (il ne m’a même pas fait un signe).

Bon, à vrai dire, vous entendrez les deux car les traditions se perdent. Alors, comme souvent sur ces billets où il est question de prononciation, d’expression et de langage…fate cum’ella vi pare. Faites comme bon vous semble mais avant tout soyez poli !

candela

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Muntagnera! Enfin, un bout…

Et si nous parlions randonnée ? J’ai pas mal marché par chez moi et il me semble que je peux vous donner envie d’en faire autant. Et puisqu’il s’agit aussi de promouvoir la langue corse, nous allons examiner ma première proposition en musique. Grâce soit rendue à Word Press, mon éditeur de blog qui dans sa dernière version, autorise l’insertion de contenu. Donc, cliquez sur l’image You Tube pour avoir le groupe A Filetta en fond musical et plus particulièrement, la chanson « a muntagnera » qui relate le parcours de transhumance entre la plaine d’hivernage du Filosorma et les hautes vallées d’estive du Niolu. Le parcours que je vous propose correspond  aux quatre premiers couplets de cette chanson écrite par mon cousin Marcellu Acquaviva di L’Acquale, dans son recueil de poésies ‘l’Acqualugia ». Ch’ellu riposi in pace.


1er couplet….

Ch’ellu si n’hè scorsu maghju
Sarà più d’una simana ;
Approntati, o capraghju !
À lascià piaghja è calmana
Ch’ai da fà l’altu viaghju
Dopu ghjuntu in Barghjiana

Depuis que Mars s’est enfui,
Cela fera plus d’une semaine,
Prépare toi ô chevrier
A laisser la plaine et sa chaleur
Car tu devras faire un haut voyage
Lorsque tu seras arrivé à Bardiana

église

La randonnée que je vous propose est basée sur une partie de l’antique chemin qui ramenait donc les troupeaux des vallées du Filosorma où ils passaient l’hiver, au Niolu, où ils allaient rester durant l’été. Comme le dit ce premier couplet, l’aventure commence à Bardiana. Et plus précisément près de l’église où démarre la route forestière. A ce stade, plusieurs options. La première consiste à tout faire à pied et suivre cette piste carrossable sur environ sept kilomètres  avant d’arriver au pied du col, où tout le monde de toutes façons, devra marcher. La deuxième, si vous avez un véhicule assez haut sur patte, c’est de vous garer au pont des Rocce ce qui vous fera gagner quelques kilomètres et enfin si vous avez un quatre à quatre, vous pouvez aller au bout de la piste. Arrivé à la fontaine di i Tassi, vous ne pourrez pas aller plus loin qu’une passerelle et reviendrez vous garer 100 mètres plus haut sur un espace herbeux, sous un énorme rocher. Mais, tout faire en marchant, présente un double avantage. On se chauffe les muscles avant la grimpette et on profite d’une vue splendide sur les contreforts du Tafunatu.

2ème couplet….
Avvedeci, o Falasorma !
Cù i parenti è l’amichi
Sempre liati à Niolu
Per e gioie è i castichi :
Da Montestremu à u mare
Avemu listessi antichi.

Au revoir, ô Filosorma
Avec les parents et les amis,
Toujours liés au Niolu
Par les joies et les peines,
De Montestremu à la mer,
Nous avons les mêmes aïeux

En remontant la piste forestière, sur les premiers kilomètres en tout cas, vous verrez sur le versant d’en face, le village neuf de Montestremu  puis le vieux. Les maisons sont en ruine pour la plupart mais elles sont un exemple remarquable d’architecture corse et d’intégration idéale au lieu. Sans peine, puisque les pierres qui ont servi à construire les maisons sont celles des rochers alentour. Puis vous traverserez la plus grande yeuseraie d’Europe avant d’arriver à la passerelle des Tassi dont je parlais plus haut. Ce point marque la fin de la partie carrossable de la piste.

3ème couplet…
Sbuccarè in Caprunale
Guardendu da altu à bassu
Supranendune à O’mita
È a funtana di u Tassu
Basgiati a croce nova
Chì a vechja ùn s’hè più Trova.

Tu déboucheras à Caprunale
Regardant de haut en bas,
Surplombant Omita
La fontaine du Tassu (les ifs ?)
Embrasse la croix neuve
Car la vieille, on ne l’a plus trouvée (elle s’est perdue)

caprunale1

Ah la licence poétique..en un seul couplet, vous arrivez à Caprunale. Pas si évident. Longue montée en lacets qu’il faut absolument éviter au soleil. C’est là qu’on peut admirer le travail des terrassiers même si les éboulements détruisent peu à peu la route. Omita, c’est le nom de la forêt qu’on traverse en bas de la pente et celui aussi d’une maison forestière en ruines qu’on distingue sous les frondaisons. Et la fontaine, est celle dont je parle depuis un instant, celle où vous avez laissé votre voiture. Cette histoire de croix mérite une explication. Du temps de la transhumance, une vieille croix était scellée dans un rocher au passage du col. Une écuelle était là pour recueillir les piécettes laissées par les bergers et randonneurs. De temps en temps, quelqu’un descendait la collecte à l’église. La vieille croix a disparu. Il y en a désormais une autre.

4ème couplet
Eccu a Mirindatoghja,
Ti riposa di a cullata
Ma fà casu à a capra
Ch’ella ùn si sia sbandata
Se tù voli esse in Pùscaghja
Tranquillu pè a nuttata.

Te voilà à l’endroit pour manger,
Qui et repose de la montée,
Mais fait attention à la chèvre,
Qu’elle ne soit pas débandée
Si tu veux être à Puscaghja
Tranquille pour la nuitée.

Arrivé au col de Caprunale, un nouveau choix s’offre à vous après avoir cassé la croûte. Redescendre vers la vallée ou continuer sur Puscaghja, c’est à dire basculer sur l’autre versant. Repartir d’où on vient est tout à fait honorable. Vous aurez fait quelques heures de marche ( au moins 6 en aller-retour) surtout si vous avez tout parcouru à pied. Descendre à Puscaghja est plus excitant. Une grosse demi-heure de descente et au travers d’un environnement quelque peu sinistre (arbres foudroyés!!), vous arriverez dans la vallée de L’Onca. Un refuge vous y attend. Lors de ma dernière visite, il était tenu par le délicieux Dumè Flori. A ce jour, je ne sais plus ce qu’il en est. L’idéal, c’est de dormir à Puscaghja, comme le propose la chanson. C’est que je faisais étant jeune en pêchant dans la rivière qui loin de tout, était fort peu braconnée. Mais on peut, je l’ai fait plusieurs fois, boucler le tout dans la journée. L’aller retour, en marchant de façon honorable pedibus cum jambis tout du long, vous fera entre 8 et 10 heures de marche, car une fois descendu à Puscaghja, il faudra bien remonter au col de Caprunale. Moins si vous avez laissé la voiture à un endroit ou un autre. Et puis vous pouvez aussi continuer la route vers Guagnerola.. mais ceci est une autre histoire et d’autres couplets !

puscaghja

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Bardiana ou Barghjana…intricciata ou pas?

Un petit billet qui présentera l’intérêt, du moins à mes yeux, d’avoir un coté transverse. Ah, pardon, je ne suis pas au bureau. Par transverse, je souhaitais juste signaler qu’il touche aux trois sujets dont traite mon blog. La langue corse, la région du Filosorma et son histoire.
L’idée de départ c’est d’en finir avec cette manie d’écrire le nom de mon village avec une triphtongue.. Barghjana. Alors, une fois pour toutes, c’est Bardiana et je le prouve. Enfin, j’essaie.
L’histoire tout d’abord. Je crois avoir déjà écrit, que ce village a été fondé par notre aïeul. Mais je ne suis pas certain d’avoir donné tous les détails de l’affaire. Et si je l’ai fait sans m’en souvenir, tant pis. Ca donnera raison à ceux qui pensent que je radote autant à l’oral qu’à l’écrit.
Or donc, il y a bien longtemps, dans la seconde moitié du 19ème siècle, ledit aïeul était berger et occupait à cette fin, une grotte dans la vallée de Bocca Bianca.

boccabianca

Un soir, il a vu arriver deux bandits. Des malandrins, des coupe-jarret, des voyous de la plus belle eau qui voulaient gîte et couvert. Il a accepté bien entendu. L’histoire retient volontiers les bandits d’honneur (concept sur lequel il y aurait beaucoup à dire) mais le maquis était surtout peuplé de canailles dont il n’y avait rien de bon à attendre. Pour faire bref, nous allons dire que les malfaiteurs avaient l’intention de tuer le grand-père dès qu’il dormirait mais que celui-ci avait compris leurs intentions. Il a attendu qu’ils s’endorment et les a occis tous les deux sans autre forme de procès. Les gredins étaient recherchés. Et en guise de récompense, l’aïeul s’est vu accorder une charge de garde des Eaux et Forêts. Après, un bref séjour dans la vallée d’Ascu, il est revenu s’établir dans le Filosorma où il a construit la première maison du lieu..la maison du garde..a casa bardiana. D’où le nom du village !
Parce que voyez-vous, et vous pourrez le vérifier dans l’excellent dictionnaire corse-français de Mathieu Ceccaldi qui fait référence dans nos pieve, garder se dit et s’écrit « bardà » et le garde « u bardia »..prononcer « ou wardia ».  En aucun cas, cette triphtongue « ghj » mise là pour rendre la prononciation.
A la rigueur, on aurait pu retenir « guardianu » ou « vardianu » comme le propose le nom moins excellent site de l’ADECEC mais ça ne restitue pas le « b » que nous entendons de façon distincte lorsque les niolains et Filosorminchi, parlent du hameau.
Tout ça pour dire, que la langue corse qui était de tradition orale a commencé à être codifiée relativement tard. Au 19ème siècle sans doute. L’idée était retrouver à l’écrit, les tournures parlées avec ces fameuses  trinaires ou intricciate (lettres intriquées ou composées ou emmêlées). Or, si leur utilité est évidente dans certains cas en début de mot notamment (comment écrire « chjamà » pour rendre le « tjia » ?) elle peut rendre inutilement complexe l’écriture de mots comme le « bardiana » dont nous parlons aujourd’hui.
Bref et pour conclure, il semblerait que cette affaire de triphtongues a pu déclencher en son temps, des débats animés. Je m’en voudrais de souffler sur des braises sans doute mal éteintes. Alors, en définitive, fatela cum’ella vi pare… faites comme vous voulez.

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Merci à la belette agile pour ses photos

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Il était temps..era ora !

Une observation attentive des statistiques du site m’a permis d’établir un constat. La majorité de ceux qui aboutissent sur ces pages, cherchent la traduction de l’expression française « il était temps ». Or, je n’apporte aucune réponse à cette question récurrente. Aussi, avec le double souci de satisfaire mes visiteurs anonymes et de faire croître mon audience, je m’en vais de ce pas, traiter du sujet des gallicismes. Quelques uns en tous cas.

Era ora ! C’est ainsi qu’il convient de dire « il était temps » et en aucune façon, l’ignoblissime « era tempu » qui ne signifie rien..si ce n’est que celui qui le dit, corsise comme il peut. C’est à dire fort mal. Era ora donc, pour il était temps. Tempu a, tout comme en français, deux acceptions. Le temps qu’il fait « chi bellu tempu ! » d’une part et le temps d’horloge d’autre part « u tempu passa ! ». Mais, une fois pour toute, il ne marche pas dans l’expression dont je vous cause aujourd’hui.

Comme toutes les langues, le corse a ses particularités, pièges et faux amis. Trop nombreuses pour être recensées ici et sur une seule page. Mais prenons un autre exemple. Encore lorsqu’il exprime une action qui se répète. Ce modeste adverbe de temps est parfois passé à la moulinette de traductions, on ne peut plus approximatives. Citons à ce propos l’horrible « encora ». Ou, plus corse mais pas moins incorrect dans ce cas, le « ancu ». Lorsqu’il s’agit de marquer la répétition dans l’action, il convient de dire « torna ». Il est encore venu se traduira par « è vinutu torna ».  Ancu, que je viens de citer, peut signifier encore lorsqu’on forme une phrase où il est question d’une action présente, passée ou future qui n’est pas arrivée mais qui pourrait éventuellement se produire. Un exemple pour éclaircir tout ceci.. il s’agit de traduire les phrases suivantes « il n’est pas encore arrivé » « il n’était pas encore debout » ou « il ne mangera pas encore ». Nous aurons «  un è ancu ghjuntu », «  un n’era ancu arrittu » ou « un manghjara ancu ». Voili voilà.

Donc « torna ». Et si vous voulez vraiment faire dans la pure pureté du langage, vous pouvez utiliser ce « torna » pour marquer l’idée d’une action qui se répète. La plupart du temps, dans la conversation courante, il revient se traduira par rivene, il mange par rimanghja. Ca passe mais ce n’est pas très élégant surtout le second exemple. La classe vraie, serait de dire « vene torna » ou « manghja torna ».

Ce serait le moment de vous conter l’histoire fameuse de l’ours et du « Torna Vignale » mais elle ne se passe pas en Filosorma aussi, vous la trouverez par vous même par l’intermédiaire de votre moteur de recherche favori. A u piacè di vedevi torna ! !

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Ghjente di Filosorma

Il existe en Filosorma pas mal de gens pittoresques. De ceux dont on dit là-bas, « ch’elli fanu u so pruverbiu », qu’ils font leur proverbe. En d’autres termes, qu’ils se signalent à l’attention des historiens de la macagna et des compilateurs de cacciate (saillies drolatiques) par la régularité et la grande, très grande qualité, de leur production. Comme ils ne le font pas toujours exprès, il n’est pas question que je les cite. Les fins connaisseurs de la vallée les reconnaîtront et j’éviterai ainsi un motif de discorde avec leur parentèle. Et pour être tout à fait tranquille, je n’évoquerai que les anecdotes dont moi et les miens avons pu être les involontaires et hilares victimes. Je le ferai en corse parce que la musique de la langue est le condiment nécessaire mais je traduirai en français par égard pour ceux qui ne peuvent pas, pas encore, apprécier cette cuisine épicée.

J’avais alors une quinzaine d’années. Age délicat où tout garçon normalement constitué se pose une question fondamentale: suis-je séduisant? Aussi, étais-je très impatient de rencontrer une cousine qui vivait au Niolu et dont ma mère me disait qu’elle était, elle aussi, impatiente de me voir. Quand j’étais gamin, elle me trouvait fort beau et le disait haut et fort. Charmante perspective que de rencontrer une dame au goût si sur. J’ai donc entrepris avec un vif intérêt la tournée des village avec comme point d’orgue, la visite de cette dame. Je me souviens avec précision de la maison, du couloir et du salon où elle se tenait et puis aussi de son commentaire immédiat lorsqu’elle m’a enfin aperçu…

« E quessu Tony, ma un la dicu piu ch’ellu è bellu, ma cum’ellu è inguffitu, cusi goffu!! » Ce qui en bon français nous donne « C’est celui-là Tony, mais je ne dis plus qu’il est beau, mais comme il a enlaidi, comme il est laid!! » Charmant et très rassurant quand on se pique de plaire. Goûter amer arrosé du sempiternel orgeat au parfum de soupe à la grimace. Bon, quelques dizaines d’années après, il m’arrive encore d’avoir droit lorsque j’arrive à ce fameux « cusi goffu » passé en forme de légende familiale. Cela faisait beaucoup rire ma maman pour qui de toutes façons, il me semble que quoiqu’on en dise, j’étais le plus beau.

Ma Maman… elle adorait rire et racontait avec talent les histoires dont parfois elle avait été la victime involontaire. Même dans le tragique parfois. Il faut savoir qu’elle avait eu la douleur de perdre son mari, mon père, alors que je n’avais que trois ans. Lors de son premier séjour au village, il lui avait fallu endurer la litanie des condoléances qui ravivait la tristesse. Elle n’avait certes pas envie de rire et pourtant, quarante et cinquante ans plus tard, si campava, elle se marrait en nous contant pour la enième fois, sa rencontre avec un bonhomme réputé pour sa spontanéité, qui était venu à sa rencontre per fà i so duveri.. remplir ses obligations.

Mamma era nant’a muraglieta, vicinu di a casa e vede chi s’affaca quellu C. U tipu s’avvicina e li face:

Ellu…allora, m’anu dettu chi era mortu u to maritu. Chi vole fà, è a vita..

Mamma… è cusi..ai puru raggio..

Ellu.. ma era pinzutu?

Mamma.. inno era corsu!

Ellu.. era corsu?! Allora è altru!

Mamma…era corsu e paesanu postu chi era natu indè u Mansu.

Ellu.. un paesanu di u Mansu!! Allora cambia l’affaru!!

For di ride chi vulete fà?

Maman était assise sur la muraillette, proche de la maison et voit s’approcher C. Le type s’approche et lui dit:

Lui.. alors, on m’a dit que ton mari était mort. Qu’est ce que tu veux faire, c’est la vie..

Maman.. c’est ainsi, tu as raison..

Lui.. mais il était continental?

Maman.. non, il était corse!

Lui..il était corse?! Alors c’est autre chose!

Maman.. il était corse et d’ici puisqu’il était né au Mansu.

Ellu.. un du Mansu!! Alors l’affaire change!

A part rire, que voulez vous faire?

Rien que sur cet homme là, maladroit mais fort gentil, je pourrais écrire des pages. Je ne m’interdis pas de le faire. Le Filosorma n’est pas qu’une vallée, un fleuve et des montagnes. Il y avait des gens aussi même si aujourd’hui on ne s’en rend plus tout à fait compte..

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Le Fango….U Fangu….

Le Fangu court sous ma maison. Quelques minutes à pied pour le rejoindre. Il doit sans doute exister des fleuves plus beaux mais je n’en ai jamais trouvé. Et pourtant, j’ai parcouru quelques pays parmi les plus beaux.

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Le fleuve. Un peu présomptueux comme appellation pour un cours d’eau qui doit faire trois mètres de large au plus. Mais c’est justifié puisqu’il se jette à la mer.
Fangu ! Quelle injustice de voir qu’il pourrait tirer son nom de la boue, a fanga. Une eau aussi limpide, pure associée à la turbidité. Difficile à croire. Sauf, si on assiste à une crue. Et là, alors que tous les ruisseaux se rejoignent, une vague se forme et roule dans la vallée, emportant avec elle, des pierres, des arbres, jusqu’au delta de la Foce où pour un moment, la couleur de la terre l’emporte sur celle de la mer. Le marron envahit le golfe de Galeria et repousse le bleu turquoise, loin au large.

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Je connais le fleuve par cœur du moins les quelques kilomètres qui vont du pont de Mansu jusqu’aux trous proches de l’ancien village de Candela. Gamin, les piscines en bas de la maison pour apprendre à nager puis les premières émotions à la passerelle. Quatre ou cinq mètres de fond. Une eau verte. Et après l’aventure. Plus tard, les après-midi au soleil a  San Quilicu. Les plongeons pour épater les filles. Des sauts improbables. Il y a de la chance pour les adolescents amoureux. Nous aurions dû nous casser le coup cent fois en sautant toujours plus haut dans une eau toujours moins profonde. Puis la pêche. Bocca Bianca, Cavicchia avec les nuits à la belle étoile, enroulés dans une simple couverture.
Il faut bien comprendre qu’à l’époque, la vallée du Filosorma était inconnue ou presque. La route venait d’être goudronnée et elle était bien étroite. Les touristes filaient sur Porto en ignorant, tant mieux pour nous, la vallée qui s’ouvrait à gauche en arrivant au carrefour du moulin. Le Fangu nous appartenait.

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A la fin de l’été, alors que le village disparaissait très vite, le fleuve nous accompagnait  jusqu’au pont des cinq arcades. Il y a avait de l’eau dehors et de l’humidité dans la voiture silencieuse.
Un fleuve aussi beau ne pouvait rester ignoré si longtemps. Désormais, les rochers sont noirs de monde et tout le long de la route, les voitures sont alignées. Normal. Rien à dire. Pourquoi priver le monde de cette beauté. Simplement le Fangu souffre et étouffe à la manière d’un organisme vivant qu’on embrasserait trop et d’une manière trop violente.

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La crue, la grande crue de la fin du mois d’août, celle là je l’aime bien. C’est le Fangu qui s’ébroue, qui fait sa grande toilette et charrie au plus loin, les traces de l’été. Les vacances sont finies et le fleuve respire.

U Fangu…

U Fangu corre sottu a mo casa. Una stondetta a pedi per raghjunghjelu. Ci seranu fiumi forse piu belli ma un l’aghju mai trovi . Eppuru, aghju giratu parechji paesi tra i piu belli.
U fiume. Un pocu d’orgogliu cume nome per un corsu d’acqua chi fara di piu, tre metre di largu. Ma, si po di omu, postu chi stu corsu si lampa in mare.

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Fangu ! Piu bella inghjustizia di vede chi u so nome puderia vene di a fanga. Un acqua cusi limpida, pura, assuciata a a turbidita. Difficiule da crede. For di vede una fiumara. Allora, quandu tutti i ghjargalli si trovanu, si forma una matarasciata chi roda indè a valle, purtandusine, pedre, arburi sin’a u delta di a Foca induve per un mumentu u  culore di a terra supraneghja quellu di u mare. U castagninu invadisce u golfu di Galeria e rispigne u turchinu, luntanu a u largu.

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Cunoscu di mente, quellu fiume, o mancu i qualchi chilomètri chi vanu di u ponte di u Mansi sin’a li pozzi vicini di u paese abandunatu di Candela. Zitellu, i pozzi, in ghjo di a casa per amparà da nutà eppo i primi emuzioni sotta a verga. Quatru o cinque metri di fondu. Acqua verde. E dopu l’aventura . Piu tardi, stonde assulanate dopu mezziornu in San Quilicu. Capiciotti per abbacciacà e zitelle. Salti assai imprubabile. Ci sera un Diu per i pullastri inammurati. Ci era a piazza per truncassi u colu cente volte saltandu cusi da un scogliu sempe piu altu in un acqua sempre menu prufonda. Eppo a pesca. Bocca Bianca, Cavicchia incu e notte a chjardiluna, ingutuppati in qualchi cuverta.
Ci vole da sapè chi, a l’epica, u Filosorma un era cunisciutu di nimu o guasi. A strada venia di esse catramata e era bella stretta. Turisti pigliavanu per Portu, lasciendu, tantu megliu per noi, u valle chi s’apria a manca ghjughjendu a u cruccivia di u mulinu. U Fangu ci pertenia.

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A a fine di a statine, mentre chi u paese smariscia prestu prestu, u fiume ci accumpagniava sin’a un ponte di e cinq’arcate. Ci era acqua a l’infora e umidita indè a vittura zitta.
Un fiume cusi bellu un pudia firmà scunisciutu. Oramai, e sponde so neri di mondu e e vitture so in infilate nant’a u stradone. Nurmale. Nulla da di . Perche privà a ghjente di questa belleza ? Ma u Fangu soffre e stufa quante un urganismu qui seria troppu abbracciatu e di una manera viulenta.
A fiumara, a grande fiumara d’aostu, questa qui mi piace assai. E u Fangu chi si scuzzuleghja, chi face a so tualetta et chi si porta a u piu luntanu, e traccie di l’estate. Vacanze so finite e u fiume si rinfiata.
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Filosorma.. les beaux étés

Je ne vais plus l’été au Filosorma. Trop de bruit, trop de monde et une chaleur blanche trop violente pour mes yeux et mon moral. Je préfère l’automne des champignons et le printemps des truites. Pourtant, aujourd’hui c’est de cette saison dont je vais vous parler . Non ce n’était pas mieux avant. C’était juste différent. J’étais un gamin et c’est aussi simple que ça.

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Juillet c’est d’abord des fenêtres qui s’ouvrent. . Les maisons s’ébrouent. Tard dans la nuit, des lumières restaient allumées à peu près partout et du haut du village, près du cimetière, je voyais comme une guirlande. Les grands trou d’eau, i pozzi, s’étaient remplis de gamins braillards et encore pâlots. C’était la période des retrouvailles aux invariables questions où on devait pêle-mêle donner des nouvelles rassurantes sur ces succès scolaires, affirmer haut et fort qu’on préférait la Corse au continent et refuser avec tact la sempiternelle grenadine. Tu as appris à parler corse……oui…comment tu dis bonjour…arrête…il vaut mieux que tu parles français que d’estropier le corse… Les enfants faisaient un tour rapide de chaque maison pour saluer la parentèle. C’était un premier devoir de vacances. Il convenait de n’oublier personne. Plus tard, lorsque la chaleur était un peu retombée, les parents après un coup de ménage, une maison qui reste fermée est pleine de poussière, passaient une tenue décente, pantalon à manches longues et chemisette, et se préparaient, avec une mine de circonstance, aux visites de condoléances. Ce n’est qu’après ces exercices obligés que les vacances commençaient.
Le bar connaissait sa période faste. Le camion des glaces montait deux fois par semaine. Le soir, alors qu’un petit vent descendait de la grande barrière toute rouge devant le dernier soleil de la journée, les touristes refluaient et c’était l’heure de l’apéritif. Pastis. Ou pastis. Et politique. Il y avait un plaisir un peu pervers à se trouver là à renouveler, une année après l’autre les mêmes gestes aux même heures. Une forme d’ennui, une indolence dont chacun était plus ou moins conscient mais que personne n’avait envie de combattre. L’impression d’être à sa place dans une pièce écrite pour chacun avec des dialogues identiques, des réparties prévisibles pour des rires annuels.

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Les vacances ne duraient pas assez longtemps pour qu’on s’en lasse.
Puis le mois de juillet touchait à son terme. Les enfants pâlots et un peu grassouillets du début étaient désormais aussi noirs et secs qu’une branche de ciste après le feu. Des heures de cavalcade dans le village et de baignade dans le fleuve avaient transformé les gamins. Ils avaient même pris l’accent et ponctuaient leurs phrases d’expressions locales… Le moment était venu pour eux de repartir. Il fallait laisser la place à une nouvelle cargaison de petits exilés qui devaient bronzer à leur tour.
Le jour avant, le père préparait la voiture. Il mettait la galerie en pestant. Comme d’habitude ils allaient repartir plus chargés qu’à l’aller. Les enfants raisonnaient « en dernier »…Le dernier plongeon, la dernière promenade au fond du village pour se faire peur près du cimetière, la dernière glace… Puis, pendant que les parents chargeaient le break, valises, glacière pour le fromage, on glisse dans les interstices les canistrelli apportés par les tantes, et la monnaie du pape pour faire des bouquets dans le salon, la monnaie du pape qui battait au vent du voyage en perdant ses yeux et qui faisait enrager le conducteur. Un moment peu plaisant en vérité. On embrasse les voisins, à l’année prochaine, puis les parents, on ne dit rien, puis on finit par le père et la mère si par bonheur, ils sont encore vivants. Portez-vous bien. Il y aurait tant de choses à dire à ces petits vieux qui vous serrent. Tout ce qui n’a pas été dit jusque là. La peur de ne pas les revoir. L’amour qu’on leur porte. Mais on ne dit jamais rien. Deux baisers de plus que d’habitude, la gorge serrée, le conducteur qui monte dans la voiture car il ne faut pas rater ce foutu bateau, putain de mouchoirs qui s’agitent, et au dernier tournant, devant la première et dernière maison du village, un long coup de klaxon pour la dernière silhouette, toute menue qui n’a pas bougé. Et puis, quelqu’un se mouche et c’est fini jusqu’à l’année prochaine… si Dieu le veut…

lesbeauxetes

 

Ceux d’août arrivent à peu près en même temps. Ils sont blancs et excités et contents d’être là. La pinède ronfle sous la chaleur. Le fleuve roule moins d’eau. Ils dépoussièrent à leur tour la maison et refont le parcours des condoléances. Encore un mois. Le village vit encore. Un peu. Mais on n’y pense pas. Les jours se suivent et se ressemblent au village. En apparence. Les estivants qui font une halte voient des rues assoupies. Des volets qui sont fermés à l’heure de la sieste et ils entendent lorsque la fraîcheur revient, des conversations qui paraissent identiques aux tables de la terrasse. C’est une illusion. Les gens ne sont pas les mêmes. Leur existence évolue au gré des petites nouvelles et des grands malheurs. La lumière qui tremble aujourd’hui près de l’église n’est pas la même qu’il y a deux jours. Cette maison est fermée alors qu’hier des draps pendaient sur un fil dans le jardin. L’ombre des châtaigniers est plus fraîche et si les moineaux reviennent en bande à la même heure pour se nicher, leur arrivée ne se fait plus dans la lumière du jour. La lumière, elle est peu plus grise, juste un peu. Assez pour que les observateurs habitués sachent que l’été tourne. Des nuages tout ronds s’accrochent au sommet. Il y en avait un la semaine dernière. Il a réuni sa famille désormais. Ca fait une crème rosâtre. Et hier, en fin d’après-midi, l’orage est venu en montagne. Les enfants, faites attention à la crue, ont dit les mères et les tantes, tout comme l’an passé. Les enfants ont répondu ce que répondaient leurs aînés. On connaît la rivière, ne vous inquiétez pas puis ils sont descendus garçons devant, filles derrière, jusqu’au fleuve. Dans la vallée, le temps changeait. Le matin, en se levant, les villageois voyaient les sommets couverts de nuages noirs qui résistaient de plus en plus tard. Le tonnerre se faisait entendre jusqu’en milieu de matinée. Puis le soleil revenait. Il faisait toujours très chaud mais un vent un peu humide descendait de temps à autres faire bouger les parasols du bar. Un jour, sans que ça ne surprenne personne, le ciel était pris du coté de la mer. Les pins bougeaient en cadence et pendant une heure ou deux, les optimistes purent penser qu’il ne pleuvrait pas. Ils n’avaient pas de mémoire ou alors n’étaient pas d’ici. Car, quand la marine est noire, que les nuages qu’elle crache galopent vers leurs cousins des crêtes, il pleut toujours. D’un coup, le vent se calme et il ne se passe rien pendant de longues minutes. Puis les feuilles du cerisier se mettent à frissonner. L’air est plein d’eau. Il ne pleut pas encore mais ça sent déjà l’humide. Une première goutte, large et gourmande, tombe. Puis très lentement une autre. Puis une suivante. Et les sommations passées, l’orage envoie l’artillerie lourde.
Des cascades s’abattent sur les lauzes, rebondissent sur les murs, courent dans les carrughji. Le vent ouvre les volets et visite les maisons. Il faut allumer les lampes. L’obscurité est là qui fait peur aux gamins planqués sous les escaliers. Tu te souviens quand les plombs sautaient. Lorsque la foudre a tué le berger a Petra Pinzuta. Les histoires d’orage font plus peur que la foudre elle même qui tombe là haut où les deux rivières se rejoignent à une heure de marche du village. Si proche pourtant. Après, ça s’arrête. Le premier orage de mi août est bref. Un apéritif, juste manière de dire qu’il s’installe et qu’il reviendra. Quand il est parti, c’est du tout bon. Rien que des odeurs fortes et une impression de grand nettoyage. Le vert est vert, on l’avait oublié. Les oiseaux et les enfants sortent en même temps. Direction, chasse aux vers pour les uns et le premier virage pour les autres d’où on voit le mieux la montagne et le torrent car il faut maintenant guetter la crue. Il y a des cascades qui se sont formées dans les calanches. Les ruisseaux ont grossi. Personne n’ira se baigner aujourd’hui. Ni demain, dans une eau de crue, les vieux ont transmis le message, on peut attraper les fièvres de Malte.
Un lancinant coup de klaxon était début septembre mon dernier adieu. Le village était vide. Les derniers touristes trouvaient sans peine à se garer. Ils n’avaient plus besoin de monter jusqu’au cimetière. De petites troupes, sans enfants, descendaient au fleuve où les attendait une eau bien refroidie par les orages qui désormais éclataient chaque nuit en montagne.

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Filosorma..la vierge et l’âne

Il se dit en Filosorma mais ailleurs aussi que pour tracer une belle route dans nos reliefs montagneux, il ne faut pas avoir recours à un ingénieur. Non. Il faut préférer un âne. N’y voyez pas là une attaque gratuite contre la noble corporation issue des Ponts et Chaussées mais plutôt l’expression d’une admiration non feinte pour cet humble quadrupède. Et puis qui mieux que lui trouvera le chemin le plus sûr et le mieux adapté à un cheminement paisible et respectueux de l’environnement ? Je vous le demande. Ce point étant acquis et je pense partagé de manière unanime, laissez moi vous raconter l’histoire de l’âne qui décidât du destin du couvent de Santa Maria di a Stella.. Sainte Marie de l’Etoile. Il semblerait bien qu’elle soit vraie du moins en partie et puis comme le disent nos cousins italiens, si non è vero è ben trovato ! Vous qui me lisez de façon régulière et attentive, savez déjà que le Filosorma est une vallée dans laquelle court le Fangu. Or donc, le Fangu se jette à Galeria dans une forme d’estuaire appelé a Foce où s’ébattent les cistudes et autres animaux plus ou moins aquatiques mais ceci est une autre histoire. Dans une époque reculée, Galeria comme son nom l’indique était un port. Je reprendrai à mon compte la célèbre tautologie gaullienne pour préciser que c’était un port de mer et qu’il a bien entendu le rester. Mais, en ces temps reculés, nous parlions de navigation commerciale périlleuse et non pas de plaisance tranquille façon pastis sous le taud. Un navire sans doute napolitain courait sous le vent par une terrible nuit d’orage. Il courait sous le vent et à sa perte sans espoir de trouver un abri tellement la mer était déchaînée. Le capitaine s’était fait attacher au mât et s’en était remis à la Vierge. Il la priait de l’aider lui promettant de l’honorer si elle le sortait indemne de cette aventure. Soudain, une étoile d’une brillance rare, s’était mise à luire comme un phare au milieu des nuées. Le pieux capitaine avait aussitôt mis le cap en direction de cette étoile et toujours en la suivant, il avait fini par mettre son navire à l’abri dans le golfe de Galeria. Fidèle à sa promesse, il avait remonté la vallée du Fangu en suivant la direction générale indiquée par ce signe marial et avait fini par trouver l’endroit idéal pour édifier un couvent dédié à sa bienfaitrice. Le couvent avait été doté par ses soins d’une statue représentant la sainte, statue dont il se dit rapidement qu’elle était dotée de vertus miraculeuses. Arrêtons nous un instant sur le tri qu’il y a lieu de faire entre légende et réalité. Je serais bien en peine de confirmer cette affaire de sauvetage miraculeux vu que je n’étais pas là à l’époque. Mais, je peux attester de l’existence d’un couvent sur la rive droite du Fangu, en contrebas de l’ancienne route de transhumance. Juste à l’endroit ou le ruisseau de la Scalella se jette. Ca me fait penser qu’un jour il faudra que je vous raconte comment mon arrière grand-oncle qui labourait dans le coin a vu son attelage s’enfoncer dans la terre. Il était sans doute tombé à tous les sens du terme dans l’arca, la fosse commune du couvent. Toujours est-il qu’il avait formellement interdit à ses enfants de travailler la terre à cet endroit. Mais je m’égare et vous vous demandez ce qu’a bien pu devenir l’âne dans toute cette histoire. J’y viens ! Le couvent placé dans une basse vallée n’était pas sûr à une époque où les pillards barbaresques opéraient volontiers des razzias. Il fallait donc déplacer la statue en un lieu plus inaccessible. Toutes les communes du Niolu, la haute vallée d’estive dont dépendait alors le Filosorma revendiquaient la Vierge. Les débats oiseux n’en finissaient pas. Jusqu’au jour où, un des participants proposa d’attacher la statue sur le dos d’un âne et de le laisser aller à sa guise. Un nouveau couvent serait fondé à l’endroit où il s’arrêterait. L’animal suivi on l’imagine par une longue théorie de supporters avait franchi les cols de Caprunale puis de Guagnerola avant que de se diriger vers Albertacce, puis Casamaccioli où il s’était arrêté sur la place. Toutes les tentatives des habitants de Lozzi, Corscia, Calacuccia se révélèrent vaines. L’âne ne bougeait plus et si on parvenait parfois à la traîner, il revenait à sa place. Le couvent fut donc bâti là. Depuis, a lieu annuellement, chaque 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge, un pèlerinage, doublé depuis 1835 d’une foire commerciale de trois jours, la fameuse foire de la Santa. Et voilà comment un âne fit la fortune d’un village. Quel ingénieur peut en dire autant ?

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Mal’ochju..le mauvais oeil et comment s’en débarassaer

Filosorma et mal’ochju (rédigé par « a zinzala » )

   Article initialement publié dans l’excellent site de la Rando (

Au Filosorma comme dans le Poitou, j’imagine, le fait d’être bien de sa personne, d’une intelligence reconnue et doté d’un sens de l’humour dévastateur, doit rendre votre entourage envieux. L’envie. Ce sentiment inavouable qui nourrit celui qui en souffre de l’amère conviction qu’il ne pourra jamais égaler celui auquel il se compare. Vous ignorez parfois cette franche hostilité qui se dissimule souvent sous une attitude de neutralité hypocrite voire même de bienveillance exagérée. Et paf, le mal de tête. Parfois, même sans qu’il soit question d’envie, la franche admiration qu’on vous porte, ces éloges sur votre santé, votre beauté, ont le même effet. Mal de tête ! Les éloges et les compliments peuvent en effet cacher une jalousie secrète, inconsciente et attirer sur vous…roulement de tambours.. l’ochju… le mauvais œil. J’ai beaucoup souffert de ces maux de tête. Vraiment. C’est comme ça. La nature vous dote mais il y a toujours un prix à payer. Cependant, il existe des parades !

L’ochju, le mauvais œil, se traite de façon préventive, c’est l’idéal ou curative quand on ne peut faire autrement. Il faut alors l’intervention d’un tiers dûment formé à l’exercice. Nous y viendrons. La prévention tout d’abord. Il peut être envisagé de mettre une belle de torgnoles, duie calzotti, à celui ou celle qui vous complimente sur votre bonne mine. C’est ennuyeux d’un point de vue social et parfois périlleux si votre admirateur a le profil d’un troll . Non, vraiment je déconseille. Vous allez y perdre tous vos amis. Le plus simple dans ce cas là, est de faire les cornes avec les doigts.. geste à effectuer dans le dos bien entendu pour ne pas froisser. Le geste des satanistes si vous voyez ce que je veux dire. Là aussi soyez discret ! Mais ceci ne règle pas, j’en convien, le problème du sournois qui vous jette le mauvais œil dans l’ombre. Il existe à ce propos des protections magiques, scapulaires contenant du sel, du corail voire des fragments de cierge bénit. Efficace mais peu seyant, je le concède. Mais il faut payer le prix pour ne pas être anuchjé…envoûté..

Malgré tous ces efforts, ces grigris et cette vigilance, il est à craindre que l’ochju passe. Il faut alors être en mesure d’en connaître les manifestations. Maux de tête violents, fièvre, nausée, lassitude sans qu’on puisse rattacher le tout à une cause réelle. Le mauvais œil n’a rien à avoir avec une sinusite ou un syndrome grippal ! Bref, vous voilà bien embêté. La faculté parle d’hypocondrie, de somatisation et ça vous fait une belle jambe. Il faut passer à la phase curative.

La signatora est alors votre amie. C’est le plus souvent une femme même si un homme a pu être initié. La signadora connaît les prières et les techniques associés pour vous débarrasser de l’annuchjatura. u mal’ochju ou a mazzulata. Autant de mots pour autant de régions pour désigner le mauvais œil. Ah, ces prières se transmettent uniquement par les femmes et pendant la nuit de Noël. L’homme peut donc pratiquer mais il ne pourra enseigner ce qu’il a appris.

Le traitement du mauvais œil ne relève pas d’un procédé unique. Il peut se traduire par le geste (apposition des mains, tracé de croix sur certaines parties du corps) toujours accompagné de prières. La magie réside dans la prière. Blanche la magie, attention! Ce n’est pas du vaudou.

La signatora prend alors  » l’ochju  » sur elle. En général, si ce transfert a fonctionné, elle baille de façon répétée. Parfois elle pleure. La guérisseuse peut aussi utiliser du matériel. En pratique, ça se résume à une assiette, de l’eau et de l’huile. Après les prières, la signatora observe le comportement de l’huile qu’elle a mise dans l’eau. Gouttes rondes, pas de maléfice. Gouttes bien étalés, l’ochju était présent. Et ce qu’il y a de bien dans cette affaire, c’est que le diagnostic est aussi le remède. A peine, le mauvais œil est-il décelé, qu’il disparaît et avec lui les symptômes grippaux. L’occhju è rottu..l’œil est brisé.

Alors, je vous imagine en train de vous demander si je suis bien sérieux. Il m’incombe donc de vous préciser que, tout libre penseur que je suis et parfait mécréant, j’ai pu voir à maintes reprises que tout ceci fonctionnait. Et au risque d’apparaître comme un schizophrène, il faut aussi que je vous dise que j’ai pratiqué. Avec succès. A défaut de comprendre les évènements, je concilie mon matérialisme avec tout ceci, en me disant qu’il doit bien y avoir une explication métabolique.

Sinon, on pourrait envisager et je sais que ça vous passionnerait, de diffuser les textes des prières. Bonne idée ! Et bien non. D’abord ce n’est pas Noël et puis ça ne se fait pas. Si vous avez le mal de tête, consultez un otorhino et si ça ne passe pas, faites un saut en Filosorma où il se trouvera bien quelqu’un pour vous rendre service. NDLR: l’introduction est bien entendu à prendre au second degré quoique

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Les jours prêtés…l’impristtaticci

Cet article a été publié pour la première fois sur l’excellent site http://www.la-rando.com/

Il en va des rédacteurs de blog comme des marmottes. Ils ne s’activent vraiment que lorsque ils sentent à des menus détails que l’hiver s’achève. Bien entendu, je vous parle de lieux proches du sud où, après les mimosas, les amandiers fleurissent juste avant les arbres de Judée. Ce qui passe en Septentrion m’est étranger et pourvu que ça dure. Les balades du dimanche reprennent et le randonneur peut allonger le parcours sans crainte d’être surpris par la nuit et les loups puisqu’il fait encore jour aux Vêpres.

Pour autant, il faut éviter de se réjouir trop vite à la manière du piteux berger du Filosorma dont je m’en vais vous narrer l’histoire en langue vernaculaire avant que de vous la traduire en véhiculaire puisque j’ai l’avantage de parler et d’écrire les deux.

Tempi di una volta, ci era un pastore in Filosorma. Un tipu era contentu chi l’invernu si n’andava. Ma soca ch’ellu era troppu cuntentu. Era sortitu di a so casuccia e s’era pigliatu in burla u mesu di Marzu. U pasturellu dicia capatoghji cusi « Ô Marzu se leccu, ava u cattivu tempu è finitu…aghju da sorte u pecuraghju..u podi piu fà nulla chi un ti resta piu chi un ghjornu »..In fattu fine ghjastemava u mese di Marzu chi, ellu, u sentia e un n’era cuntentu! Marzu è frighjulosu, ognunu a sa.. Allora Marzu a dumandatu a Aprile u so fratellu di veranu qualcosa..  » aprile, gentile aprile.. imprestami duie o tre di, incu unu chi aghju, faraghju pente u falsu pecuraghju.. »

(di mente chi ci è un pezzu chi un l’aghju entesa questa poesia) Aprile è statu d’accunsentu e a impresttatu i so primi ghjorni a u so amicu. E allora, Marzu a fattu vene u tempurale, ventu, acqua, tonu e zaette!! U tintu pastore a pruvatu di parà e so pecure ma un a pussutu fà nulla! A fiumara s’a pigliatu pecure e muntone e un li è firmatu nulla. E statu ruinatu per avè macagnatu u sgio Marzu! Dipoi questu tempu, quandu i primi ghjorni d’Aprile so cattivi, omu si parla d’impristtaticci per sti lochi maravigliosi di u valle di Filosorma!

Il était une fois, dans la vallée du Filosorma, un berger. Le type était content car l’hiver s’en allait. Mais, sans doute, était-il trop content ! Il était sorti de sa masure et avait décidé de se moquer du mois de mars. Le berger disait des petites choses assez ironiques  » Mars, tu es fichu, le mauvais temps est fini ..je vais sortir le troupeau de brebis et tu ne pourras rien faire de plus car il ne te reste plus qu’un jour..  » En fait, il insultait le mois de Mars, qui en l’entendant était rien moins que content. Mars est susceptible, tout le monde le sait.

Alors, il a fait appel à Avril, son frère du printemps pour lui demander quelque chose..

 » ..Avril, gentil avril,

prête moi deux ou trois jours,

avec celui que j’ai

je ferai se repentir ce berger hypocrite..  »

Avril n’ayant à refuser à Mars qui était un ami lui a alors prêté ses premiers jours.

Alors, Mars a fait venir l’orage, le vent, la pluie, le tonnerre et la foudre.

Le malheureux berger a eu beau essayer de protéger ses bêtes mais il n’y avait rien à faire. La crue a emporté les brebis, les moutons et il ne lui est rien resté. Il a été ruiné pour s’être moqué de monsieur Mars !

Depuis ce temps, quand les premiers jours d’avril sont méchants, on parle des  » jours prêtés  » l’impristtaticci (prononcer limepristaditchi..si vous y arrivez), dans ces lieux merveilleux de la vallée du Filosorma.

Et voilà pourquoi là-bas comme à l’endroit où vous vous trouvez, on évite de se plaindre lorsque le début du printemps est tout moisi. C’est la faute d’un berger qui avait oublié qu’il ne faut pas se moquer de l’hiver. Alors, même si le ciel est bleu, prenez quand même la polaire et la cape de pluie. Ca peut toujours servir.

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